Méthode de Condorcet

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Le week-end dernier, c'était le second tour des élections municipales. Une mécanique bien rodée en France, que l'on a découvert très jeunes en accompagnant nos parents qui participaient à la grande fête de la démocratie. Enfin c'est comme ça qu'on le présente pendant le catéchisme républicain, en cours d'éducation civique. Ce mécanisme en deux tours pratiqué en France s'appelle le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Et s'il porte un nom aussi précis, c'est parce qu'il en existe nombre d'autres, des modes de scrutin.

Dès la Grèce antique, on a travaillé à la recherche de la meilleure manière de décider collectivement d'une idée ou d'un représentant. Et contrairement à ce qu'on pourrait croire, tous les pays n'ont pas abouti au même système de scrutin. Nombre d'institutions plus ou moins officielles pratiquent aussi des modes des scrutins alternatifs.

D'ailleurs, vous en connaissez ?

La question du mode de scrutin n'est pas simple. Elle a pendant longtemps intéressé les scientifiques, qui ont cherché à définir le meilleur système possible. Cependant, évaluer ces systèmes est une question très compliquée. Je vais donc vous raconter comment le mathématicien Nicolas de Condorcet a modélisé la question, et proposé un outil pour évaluer les modes de scrutins. Grâce à son travail, on peut montrer que le scrutin uninominal majoritaire à deux tours est probablement l'un des moins satisfaisants.

La réflexion initiale de Condorcet se base sur l'étude du scrutin uninominal majoritaire à un tour. Dans ce système, plus simple que celui qu'on a utilisé aux municipales, chacun vote pour le candidat de son choix, et on retient le candidat qui a remporté le plus de suffrages. Ce que Condorcet à remarquer, c'est que ce système pouvait très bien rendre insatisfait plus de gens qu'il n'y aurait de satisfaits.

Car il peut arriver qu'un candidat A soit élu, mais qu'une majorité d'électeurs préfèrent le candidat B au candidat A. Si B n'a pas été élu, c'est tout simplement parce que des électeurs ont voté pour C par exemple, qu'ils préféraient à B, ce qui a fait perdre des voix à B, et donc fait gagner A.

Ça vous rappelle peut-être des sentiments connus, chers amis citoyens?

En faisant ce constat, Condorcet a formalisé le concept de système de scrutin optimal comme celui qui permet que l'unique vainqueur soit celui qui comparé tour à tour à tous les autres candidats s'avère à chaque fois être le candidat préféré.

Et pour répondre à cette définition, il propose une méthode de scrutin en un tour, où chaque électeur trie la liste des candidats par ordre de préférence. La grande difficulté de cette méthode, c'est qu'elle est très compliquée à dépouiller. Il faut regarder toutes les paires de candidats, et trouver celui qui emporte la satisfaction face à tous. Condorcet a en plus très vite identifié un paradoxe, qui porte son nom, en remarquant des situations où A est préféré à B, lequel est préféré à C, lequel est préféré à A!

Cette méthode de scrutin ultime mais trop complexe peut être simplifiée sans pour autant tomber dans la médiocrité de notre système actuel. Ainsi, le système qui emporte le plus de soutien de la part des scientifiques est le vote par approbation, aussi appelé vote par assentiment. Très simple à mettre en place, il a d'ailleurs été utilisé dès le XIIIème siècle, à Venise.

Dans cette méthode de scrutin, on demande à l'électeur de faire la liste (sans ordre) de tous les candidats qu'il accepte de voir élus. Le dépouillement est super simple, puisqu'il suffit de compter les voix pour chaque candidat. Ce mécanisme offre une grande expressivité, car on peut choisir de voter pour un seul candidat, ou pour autant que l'on souhaite… Et c'est un système qui a été prouvé comme assurant un choix correspondant au plus grand consensus.

Je me demande qui aurait émergé à la mairie de Clermont-Ferrand si on avait utilisé cette technique. Vous en pensez quoi?

Depuis les années 70, nombre de scientifiques et militants tentent de faire percer ce système de vote, qui doit beaucoup aux réflexions initiales de Condorcet. Mais étrangement, on préfère continuer à privilégier en France un système très favorable aux partis dominants, avec le risque de passer à côté du candidat le plus soutenu par les électeurs.

Le système que nous pratiquons semble aujourd'hui quasiment incontournable, si l'on en croit le discours ambiant. Pourtant, certains pays utilisent depuis près d'un siècle des modes de scrutin alternatifs. Ainsi, en Australie on demande aux électeurs de trier les candidats dans l'ordre de leur choix. C'est le scrutin alternatif, pour lequel le dépouillement est un peu complexe mais satisfait nettement plus que le nôtre aux critères définis par Condorcet.

Si vous voulez lire sur la question, je vous recommande le numéro 294 du magazine Pour la science publié en avril 2002. Ça date un peu, mais il est extrêmement complet. Vous pouvez aussi parcourir le mémoire de master de Patrick Blanchenay, disponible en ligne, et intitulé Paradoxes de vote et modes de scrutin en France. Il évoque les problématiques associées aux modes de scrutin, et souligne également d'autres paradoxes institutionnels plus spécifiques au fonctionnement électoral français.